L'odeur de l'orage. Cette senteur si caractéristique, si forte, si… envoûtante. Le ciel gris sombre, teinté de violet, et le vent qui se lève, repoussant vers le désert d'énormes masses de sable qu'un autre courant d'air a mis tant de temps à amasser ici. Les nuages s'assombrissent encore, la chaleur et la pression s'ajoutent au vent chargé de poussière afin d'accabler encore plus une respiration déjà difficile. L'air semble de plomb, du sol jusqu'au plafond noir pas si haut au dessus des têtes. Tout à coup, un serpent lumineux zèbre l'empyrée ténébreux. La pluie, libératrice, va bientôt plaquer la poussière au sol, purifiant l'air de ces milliers de morceaux de roche. Et pourtant, rien ne tombe du ciel sombre, excepté les éclairs qui criblent l'air en rugissant. Un orage sec, non point émancipateur de pluie bienfaitrice, mais au contraire tyran frappant au hasard, plus férocement que le plus sauvage des barbares. Voilà qui concorde parfaitement avec l'humeur de la femme qui chevauche au grand galop dans ce désert, nullement inquiétée par les ébranlements célestes. C'est d'ailleurs peut-être elle qui provoque ce déversement de fureur, pour calmer la sienne. Voilà des heures qu'elle traverse le désert, stimulant sa monture, la poussant dans les derniers retranchements de la fatigue. Les dunes cèdent la place aux dunes, parsemées de rochers affleurants de loin en loin. Le sable fouette son visage à travers le tissu, s'infiltre dans le moindre interstice pour envahir son nez, sa bouche, ses yeux. Pourtant elle continue, sans tenir compte de sa lassitude ou de celle de sa monture. Enfin, sous les pas du cheval, le sable se change peu à peu en roche, puis en terre fauve. Le désert s'étend maintenant derrière elle, la terre sèche fait apparaître de grands nuages de poussières au passage de la monture et de sa cavalière. Une gorge rocheuse marque la frontière entre le désert aride et hostile et l'étendue putréfiée mais tout aussi hostile qui s'étend au-delà. Le Marais du Lotus Pourpre. Immensité fangeuse, nauséabonde, emplie d'animaux malveillants et de végétaux encore plus retors. Siège de la cité du Culte. Telle est la destination de Nigla. Alors que le coursier ralentit sa course en arrivant sur le sol humide et traître, la pluie arrive enfin, comme si l'atmosphère déjà surchargée d'humidité ne pouvait supporter un orage sec. Des trombes d'eau s'abattent sur le marais détrempé, mais déjà la Cavalière cravache les flancs de la bête exténuée et s'enfonce dans l'enfer vert sombre sans paraître plus gênée par le torrent venu du ciel que par les éclairs qui continuent de frapper le sol. Le souffle de son cheval et les décharges frappant les végétaux imbibés font apparaître des volutes de vapeur. Le bruit, la fumée, les éclairs, prémices d'un enfer apocalyptique, mais pourtant l'heure de la Fin n'est pas encore venue. Après encore quelques heures de course à travers les arbres, les lianes qui lui fouettent le visage et les jambes, évitant les traîtres fondrières et les étendues d'eau empoisonnées, les murailles de la ville cachée dans la jungle se découvrent enfin. Les murs ont surgis de terre après son départ, et de nouveau bâtiments se dressent sous la forteresse qu'elle a aidé à bâtir. Pourtant, elle passe devant sans s'arrêter, sous le regard ébahi des gardes qui voyant son état croient voir passer un fantôme. Ses vêtements sont déchirés, une épaisse couche de poussière recouvre son corps mais ne parvient pas à dissimuler quelques taches sombres, d'un brun rouge, typique du sang séché. L'extrême fatigue qui se lit sur son visage ne l'empêche pas de sauter à terre d'un bond, au pied des marches du donjon. C'est pourtant là qu'elle s'écroule, fourbue, alors que les gardes ayant assisté à la scène accourent en hélant du renfort. Personne à Berceruine ne sait ce que Nigla est allée chercher dans la lointaine Cimmérie et jusque dans les royaumes reculés de Kush, au sud. La réponse qu'elle voulait apporter si rapidement repose désormais entre ses lèvres closes.
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